LE TEMPS (Suisse) 2 juin 2001 |
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"Hide
and Seek", pièce de l'écrivain new-yorkais, a servi
de livret Cela commence par un dialogue tronqué. Deux voix légères, celles de Robert Wyatt et de Susi HyIdgaard, échangent des propos évanescents sur des harmonies noires: "What did you say? / I can't remember / Maybe I didn't say anything / Suit yourself / It makes no difference to me." (Qu'as-tu dit? / Je ne m'en souviens pas / Peut-être n'ai-je rien dit / Comme tu veux / Cela ne fait aucune différence pour moi.) Le texte de Paul Auster, tiré de la pièce Hide and Seek (Cache-cache), paru en 1997 dans le recueil d'écrits Hand to Mouth, est une suite de conversations maladroites, de malentendus, d'ambitions réprimées. Utilisés par le compositeur Michael Mantler dans un nouvel opus intitulé, lui aussi, Hide and Seek, les mots d'Auster semblent avoir été écrits pour cette musique tortueuse. Un opéra jazz majeur, où l'écriture, aux sens littéraire et musical, a le premier rôle.
Depuis les années 70, Michael Mantler explore la relation entre texte et création sonore. Né en 1943 à Vienne, le musicien participe à l'aventure du free jazz dés le début de sa carrière. Trompettiste et compositeur, il vit longtemps aux Etats-Unis, se marie avec Carla Bley, prêtresse du swing affranchi dont l'opéra Escalator Over The Hill en 1968, s'appuie sur un livret de Paul Haines. Michael Mantler est un pionnier de cette avant-garde intellectuelle pour laquelle la frénésie improvisée n'exclut pas la mise en scène, les structures et les rencontres avec l'écrit. Dans son premier album No Answer, daté de 1973, le compositeur demande au vocaliste Jack Bruce d'entonner, sur le mode de la psalmodie, des phrases de Samuel Beckett. La musique, d'une violence psychédélique, frise parfois le rock progressif. Rédigées comme des récitatifs apocalyptiques, les partitions se soumettent à des textes où l'absurde est une voie d'expression.
Pour Michael Mantler, le concept est né. Au long de son abondante production discographique, il choisit des ouvrages de Harold Pinter, Edward Gorey, Ernst Meister, Phillippe Soupault et Giuseppe Ungaretti. L'Autrichien, désormais installé entre le Danemark et la France, opte toujours pour des écrits où les conflits sont silencieux. Où les mots semblent manquer. En 1976, Michael Mantler enregistre l'album Silence. Une adaptation d'une pièce homonyme, signé Pinter, sert de trame à I'uvre. Carla Bley et Robert Wyatt en sont les héros déchus. La pièce n'est qu'une longue tentative éperdue de dialogue: "Will We Meet Tonight? / I don't know / Come with me tonight / Where? / Anywhere. For a walk / I don't want to walk." (Va-t-on se rencontrer ce soir? / Je ne sais pas / Viens avec moi ce soir? / Où ? / N'importe où. Pour une promenade / Je ne veux pas me promener.)
Dialogues phatiques, les textes que Michael Mantler sélectionne semblent tous jouer sur la même fibre. Et la voix de Robert Wyatt cisèle ces phrases subliminales depuis une trentaine d'années. Ex-leader de Soft Machine, songwriter lumineux, le chanteur a déjà collaboré avec Mantler pour six enregistrements. Falsetto susurré, Wyatt dévoile dans Hide and Seek une voix intacte, souvent éthérée. Correspondance parfaite avec la pièce d'Auster. En réalité, Michael Mantler cherchait depuis longtemps à composer une musique pour les textes de l'écrivain new-yorkais. "Lorsque je suis tombé sur Hide and Seek, je me suis immédiatement attelé à écrire des partitions pour cette pièce. Cela m'a semblé possible, parce que les mots avaient toutes les qualités que je cherche généralement dans la littérature: une clarté simple, la beauté du langage, une écriture un peu poétique sans qu'il s'agisse de poésie. J'ai choisi des passages de Hide and Seek qui permettent plusieurs interprétations possibles."
"It's all just words" (Ce ne sont que des mots). Au fil du disque de Michael Mantler, la phrase devient un leitmotiv, répété jusqu'à l'horreur. D'une manière opératique, inspirée autant de Bartok que de Varèse, la composition sous-tend un drame qui ne saurait être articulé. Hide and Seek, enregistré en grande formation avec cordes et cuivres, est sans doute un des exemples contemporains les plus aboutis du lien entre le son et l'écrit. - Arnaud Robert |
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