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Illustre et Méconnu: Michael Mantler
Du trompettiste et compositeur autrichien, hier new-yorkais et à nouveau
européen, on réédite les opus disparus tandis qu'il se prépare à mettre
en musique, et en disque, de nouveaux textes.
Il semble osciller entre sérénité
et déception. La musique récente - qui circule entre sombre méditation,
tristesse assumée, austérité, angoisse, parfois désolation - a connu aussi
le soleil, certaine forme d'insouciance, et sait encore trouver les voies
de l'affirmation de soi. Michael Mantler, la cinquantaine superbement
passée, les yeux d'un bleu profond et le regard droit, donne tous les
signes d'une éclatante vigueur. Entre le Danemark, où il a élu domicile
et pris femme, et ce petit coin de terre française à deux pas de Grignan
où il(s) séjourne(nt) souvent, le trompettiste et compositeur revoit ses
partitions et prépare ses prochains enregistrements. Toujours lié au label
ECM, puisque Manfred Eicher continue de lui donner sa confiance. On en
est même aujourd'hui à rééditer les opus manquants. Bonne
occasion pour faire le point.
Autrichien de naissance, Mantler dit tout devoir, sur le plan instrumental,
à un professeur de Boston nommé John Coffey, qui était, paraît-il, d'abord
et avant tout tromboniste. Après des études classiques décevantes - l'ex-époux
de Carla Bley avoue ne pas aimer les écoles sous quelque forme que ce
soit - l'embarquement pour les États-Unis a lieu à 19 ans, et après
deux ans à Boston, c'est déjà le grand bain new-yorkais, les gigs, les
rencontres et l'apprentissage véritable au contact des autres. "John
Coffey m'a appris à ne pas jouer serré, avec un son trop étroit,
il m'a indiqué les sens de to blow, avec ce coté d'ouverture, d'expansion.
Et paradoxalement, j'ai retrouvé ça chez Don Cherry. Avec sa petite
trompette, il était capable de projeter un son énorme, et d'y mettre du
vibrato. Moi , j'étais au départ plus identifié au son de Miles,
de Chet, mais Don m'a montré une autre voie." Il rencontre Carla
Bley, travaille déjà avec elle pour Gary Burton (" A Genuine Tong Funeral
"), puis ce sont quatre années trépidantes où il fréquente tout ce que
la " new thing " compte de fous furieux, de Roswell Rudd à Gato Barbieri
en passant par Cecil Taylor, Cherry, Pharoah Sanders et beaucoup d'autres.
"L'idée du JCOA ? Elle était dans l'air, c'était seulement quelque
chose à faire, une évidence … Carla, dans la réalisation d'
Escalator, ou moi dans celle du premier disque de Jazz
Composer's Orchestra, nous avons voulu donner un cadre d'écriture
à tous ces grands solistes free. À l'époque, on pouvait
le faire, confier des arrangements à ces musiciens, et puis les laisser
faire … Escalator est une œuvre toujours aussi belle, j'ai
eu l'occasion de m'en rendre compte à Vienne (en France) lors
de la tournée de l'été 98. Les textes sont de Paul Haines … Je crois
me souvenir qu'il était en Inde à l'époque et nous envoyait des
bouts de poèmes. C'est Carla qui a mis ça en forme, c'est elle
qui a fait la plus grande part du travail à partir de ce qu'il
nous envoyait …"
Longtemps sur les routes avec les formations de Carla Bley, le "Liberation
Music Orchestra" de Charlie Haden, ou plus rarement ses propres combos,
Michael Mantler a gardé une légère nostalgie de la chose, même si son
statut de compositeur à part entière lui convient. Quant au jazz d'aujourd'hui,
ce qu'il en connaît ne lui paraît guère encourageant : "Toutes les
voix, tous les instrumentistes, sont parfaits. Ils peuvent jouer
dans tous les styles, ils peuvent jouer le rôle du musicien de jazz,
tout comme dans un orchestre classique un instrumentiste joue sa
partition. C'est pour cette raison que, d'un coté j'ai souhaité pour
un opus ("One Symphony") tout écrit comme on le fait dans la tradition
classique, et que d'un autre coté je cherche des instrumentistes, ou des
voix, qui ont conservé du jazz l'esprit d'invention, la liberté et surtout
le grain."
"Je ne pense pas à ce que je veux dire, je
le dis"
De Mona Larsen (voc) à Bjarne Roupé (g) - dans l'actualité - de Marianne
Faithfull à Jack Bruce en passant par Don Preston, Robert Wyatt et Kevin
Coyne (excusez de peu !), sans oublier la superbe série des guitaristes
qui va de Larry Coryell à Mike Stern en passant pat Philip Catherine et
Terje Rypdal, Mantler a toujours cherché la connexion des voix, des textes
et des solistes. "Les mots existent dans ma musique à cause
des voix, et pas le contraire. J'ai toujours voulu utiliser des
voix que j'aime, et trouver les mots qui vont avec. Or je ne crois pas
aux vocalises pures, je n'aime pas les voix d'opéra (Callas est
un cas à part), d'où le besoin de textes qui soient
forts" Parmi les auteurs élus, à inscrire au chapitre "jazz et littérature"
: Samuel Beckett, Edward Gorey, Harold Pinter, Ernst Meister, Philippe
Soupault, Giuseppe Ungaretti et bientôt Paul Auster.
Michael Mantler reconnaît deux "influences" conscientes dans sa manière
d'écrire, forme et contenu confondus: Bartok et Varèse. Il n'aime pas
spécialement la musique sérielle viennoise, ne "réfléchit" jamais à la
musique qui vient ("Je ne pense pas à ce que je veux dire, je le dis"),
aimerait travailler avec Patricia Kaas dont la voix le touche. Il n'a
jamais reçu de propositions de réalisateurs malgré le caractère "filmique"
maintes fois souligné de sa musique, considère comme des inusables de
sa discothèque les disques "Focus" de Stan Getz ou "Into The Hot" de Gil
Evans - parce qu'il contient le travail de Cecil Taylor et Johnny Carisi
- reconnaît enfin la légère déception qui le traverse lorsqu'il réalise
que ses disques ne sont pas toujours rangés là où on pourrait le souhaiter.
De fait, mal connu des amateurs de jazz "cultivés", c'est-à-dire
sans goûts personnels et surtout sans chicanes privées, et absent des
bacs de musique contemporaine, le travail de Mantler n'est pas diffusé
comme il le devrait. Un peu intransigeant il est vrai - on ne l'imagine
pas jouer des standards en fin de nuit - il nous a semblé cependant tout
à fait prêt a recevoir des propositions. L'ONJ ne lui jamais fait signe,
et rien n'est venu non plus de l'un ou l'autre de nos plus créatifs musiciens.
Peur de se frotter à une certaine rigueur? Craintes inavouables devant
le passé quand même prestigieux de l'homme et du musicien ? Déçu
de ne pouvoir, comme il dit "faire son entrée en France".
Mantler, qui réside six mois sur douze dans notre pays, se demande au
fond si quelqu'un le connaît vraiment, ou encore. Tout cela sans le moindre
pathos, et avec le sourire de quelqu'un qui a vécu les plus belles années
d'un monde musical aujourd'hui dispersé. Si j'étais Mme de Grignan, j'écrirais
à la Marquise pour lui demander d'intervenir auprès de ceux qui sont en
cour …
- Philippe Méziat
En même temps que "Songs and One Symphony" (ECM 1721 / Universal), que
nous avons chroniqué dans le n° 504 de Jazz Magazine, ECM republie un
certain nombre de disques WATT devenues introuvables. Si "No Answer" et
"Silence" (WATT 2 et 5), avec la participation de Don Cherry et Jack Bruce
dans le premier nommé et de Robert Wyatt et Kevin Coyne dans le second
- Carla Bley étant, bien sur, dans les deux - restent dans le droit fil
des années "Escalator", et renvoient musicalement, et dans leur ambiances
à la fois inquiètes et folles, à l'époque qui vit naître aussi le premier
disque du JCOA, dès la fin des années 70, avec "Movies" et "More Movies"
ce sont d'autres climats qui s'imposent. Les voix se taisent (provisoirement),
les textes disparaissent, et ce sont les guitaristes qui occupent le devant
de la scène (Coryell et Catherine), et les batteurs en la personne de
Tony Williams et D. Sharpe (7 et 10). Autre guitariste en vue, Mike Stern,
superbe dans "Something There" (WATT 13, 1983), un disque qui montre que
Mantler commence sérieusement à inclure la référence aux grands textes
poétiques et à travailler dans le sens d'une écriture pour les cordes
d'un orchestre symphonique. Enfin c'est, pour nous comme pour Michael
Mantler lui-même, le duo avec Don Preston de 1985 qui nous retient le
plus. "Alien" (15) fait entendre le trompettiste définitivement affranchi
de l'influence de Don Cherry : le son est superbe, posé, épais, aérien,
et la prestation de Don Preston fera pâlir de jalousie tous ceux qui se
sont laissé piéger une fois (ou plus) par les synthétiseurs. Un disque
à connaître absolument.
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