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Comment c'est
Michael Mantler
Le dernier opus de Michael Mantler n'a eu que peu d'échos en France.
Il ne faut pas s'en étonner. Cette fois, la faute n'en revient
pas seulement à la profusion discographique, mais aussi à
la forme même donnée par Mantler à cette étonnante
suite de neuf pièces. En un sens, il s'agit d'une sorte d'anti-opéra
de concert (puisque pensée sans mise en scène). Chaque texte
dénonce les atrocités de notre monde contemporain dont le
délire s'accélère à la même vitesse
que les circuits informatiques. Sont ainsi abordés le fanatisme
religieux (" Folie "), la séquestration et la torture
(" Pourquoi "), l' omniprésence des armes (" Commerce
"), etc. Anti-opéra, donc, car le traitement de la partie
vocale confiée à Himiko Paganotti (à la parfaite
articulation: on comprend toutes les paroles!) ne relève ni du
chant tel qu'on se le représente habituellement (pas de lyrisme
ni de mélodisme), ni du chanté-parlé mais, au fond,
d'une sorte de récitatif syllabique. Ce recitativo accompagnato
(et non secco, l'accompagnement n'ayant rien de succinct) est soutenu
par un orchestre symphonique avec claviers de percussion et piano - sans
batterie ni contrebasse donc. Tout en s'éloignant du " jazz
", le son d'ensemble ne rappelle pas non plus le monde de la musique
écrite occidentale - ce qui représente une performance en
soi. Toutes les plages expriment un même sentiment de malaise, une
tension latente, plombante, à l'exception du tendre " Hiver
", sorte de pause au milieu du déroulé (et vraie réussite).
Chacune illustre d'une manière particulière ce constat atterré
des actions destructrices entreprises par l'homme envers l'homme et son
environnement, pour mieux exprimer l'angoisse de ce qui advient. Pour
cela, Mantler a exacerbé ses techniques de composition, et d'abord
son sens particulier de l'harmonie qui consiste en une répartition
dans l'espace orchestral d'un accord auquel s'en ajoute un autre, le tout
constituant un agrégat - un peu comme si on plaquait une harmonie
au piano, puis une autre sans lever la pédale de résonance.
A cela s'ajoute la répartition déséquilibré
entre écrit et improvisé, la place accordée à
la seconde étant bien moindre que celle donnée à
la première. Seul Michael Mantler se donne à lui-même
un vrai solo, free, au milieu de la plus longue pièce, " Sans
fin " (13'). Pour le reste, il s'agit de passages notés interprétés
avec liberté(s), ou de commentaires non écrits mais demeurant
au niveau de l'accompagnement. Comme depuis ses débuts (mais non
de façon exclusive), les pièces de Mantler sont construites
sous forme de séquences successives, la plus narrative / descriptive
étant justement " Sans fin". Il en résulte un
étonnant déploiement du temps musical, faussement extatique
sans être pour autant ni dramatique, ni linéaire. Toutes
ces " anomalies ", qui donnent son prix à la suite, font
de Comment c'est une uvre toute à la fois atypique (on l'aura
compris) et dérangeante - dans de nombreux sens de ce dernier terme.
Autant dire que les chances de l'entendre en concert sont proches des
probabilités de paix dans le monde. En conséquence de quoi,
ce disque s'avère ô combien précieux. Pour ma part,
j'avoue avoir quelques difficultés avec les passages chantés,
au contraire des parties instrumentales, ne seraient-ce que l'ouverture
et la fin de l'album sans équivalent, à ma connaissance,
dans le domaine de l'orchestre symphonique.
- Ludovic Florin
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